Page 45

3. « Monte Carlo » ou le démon du jeu

« La désorientation de celui qui est obligé de laisser sa patrie et sa famille lors des premières années de son transfert est douloureuse et indescriptible. La majorité se renferme sur eux-mêmes et certains sombrent dans la dépression, l’alcool ou encore le jeu. C’est comme une prison toujours plus sévère où l’évasion correspond à un retour à la patrie. »

René C-Bour

C’est précisément, au mois de juillet 1959, dans ce contexte qu’Angelino a pu croiser les destins de certains mineurs dévorés par la fureur du jeu. Le Bruch a gracieusement été baptisé « Monte Carlo » par ses propres habitants, et malgré que l’on ne sache pas qui a bien pu le nommer ainsi au départ, on peut très bien comprendre pourquoi en lisant l’histoire qui suit. Dans ce « Monte Carlo », on vide les poches de ceux qui transpirent leur argent au fond de la mine, et ce ne sont pas les tragédies qui manquent. Au beau milieu de la forêt, Angelino assista à une partie de carte et pu recueillir le témoignage de la femme et de la fille d’un des « mineurs-joueurs ».
Ce jour-là les mineurs avaient reçu leur paye, mais ce n’était pas que lors des jours de paye, que se déroulaient ces parties de carte. Tant qu’il y avait de l’argent, on jouait. Cet homme y avait perdu sa mobylette, et allait désormais à pied à la mine. Il avait même joué les cadeaux de baptême des parrains de ses derniers-nés. Cela faisait maintenant plus d’un mois que les deux femmes n’avaient plus vu l’ombre d’une paye. Ils étaient six à la maison, sans chaussures et parfois sans pain pour manger, racontait la mère. Un de leur voisin avait même joué la lingerie de sa femme, les alliances, leur montre et ses meubles, et à force de manquer à son travail, il fut licencié, mais malgré tout il continuait de jouer, avec on ne sait quel argent. « Beaucoup de familles ici ne savent plus à quel saint se vouer, elles sont endettées et les débiteurs ne veulent plus rien nous donner, on est comme chien et chat à la maison », témoigna la brave femme.