Page 37

3. Le barrage et l’apprentissage de la langue française

  « Un autre problème, et probablement un des plus grands, nous attendait sans aucune rémission possible: la langue. (...) Chacun de nous feuilletait un modeste traité de conversation italien-français, acheté à Milan, en essayant de s’en pénétrer le plus possible; mais la difficulté était énorme et nous étions désorientés à la pensée du comment nous ferions à notre arrivée à Forbach, notre future résidence. »
Angelino, comme tous ces compatriotes, eut du mal à apprendre le français mais c’est finalement avec le dictionnaire à la main et en lisant le Républicain lorrain tous les matins qu’il intégra la langue. Ses enfants furent rapidement bilingues en apprenant automatiquement le français à l’école primaire du Bruch. Le travail structura tout l’espace social de la région, et les Italiens en se retrouvant sur les chantiers ont continué tout naturellement à parler leur langue maternelle car concentrés par origine, ce qui créa d’importants réseaux de solidarité, une des forces des émigrés italiens. De plus, sur tous les lieux de travail la langue véhiculaire n’était pas seulement le français, mais aussi le dialecte de telle ou telle région. Cela à permis de conserver tout un pan du patrimoine culturel des origines transalpines et une partie de la culture italienne a pu être adoptée par les Lorrains. Certains iront jusqu’à parler de culture italo-lorraine.

Mais Angelino insistera encore sur cette curieuse expérience, étoffée de plus par le fait qu’une grande partie des mosellans de la région parlait non seulement le français mais encore l’allemand et le lothringer Platt.
« Et le pire c’est que 90% des italiens ne savent pas parler le français; c’est la raison pour laquelle ils sont à la merci de l’incompréhension d’autrui, aboutissant le plus souvent à des conséquences douloureuses. (...) Ici l’émigré est la proie d’une confusion de langage, d’une tour de Babel en miniature, à vrai dire, et cela lui coûte un sacrifice indescriptible que de réussir à se conformer aux exigences de la vie; au travail la plupart des dirigeants parlent l’allemand, quand ce n’est pas le polonais, le russe, l’arabe ou l’espagnol. Le peu de français qu’ils s’efforcent de râler est presque incompréhensible; durant la récréation, étant donné le nombre très élevé d’italiens, c’est bien entendu la langue maternelle qui prend le dessus. »